L’Edito
du journal Entreprise Romande du 11 octobre 2013 intitulé Les
vieilles idées ont la vie longue – joli pléonasme ! – était consacré à
l’initiative pour un revenu de base inconditionnel venant d’être déposé à
Berne et qui fera donc l’objet d’un vote populaire.
La
Rédactrice en Chef n’y était pas favorable, ce qui est son droit le plus
strict. Le revenu inconditionnel étant selon moi la seule mesure
véritablement capable de modifier le système en profondeur – et donc en position centrale dans le programme politique (français) du Mendiant – je
vous propose d’ouvrir ce débat au travers du commentaire adressé par mail au journal, à
ce jour demeuré sans réponse :
« J’aimerais
réagir à votre édito du 11 octobre. En l’occurrence, il me semble en effet que ce
ne sont pas tant les vieilles idées qui ont « la vie longue »
que les idées reçues et autres préjugés.
Comparer
l’initiative pour un revenu de base inconditionnel au marxisme est un raccourci
pour le moins osé, au minimum discutable.
Est-il
nécessaire de vous rappeler que l’idée sous-jacente du Marxisme de Monsieur
Marx était la lutte des classes avec pour objectif la « dictature du
prolétariat » et la suppression de l’Etat ? Nulle violence ou « révolution »
dans le revenu inconditionnel qui, au contraire, place chaque citoyen sur un
pied d’égalité et reconnait à l’Etat un rôle central dans l’avènement
d’un mieux-vivre collectif.
Vous
semblez vouloir ridiculiser cette initiative en prenant comme projet de financement
une idée extérieure à l’initiative elle-même : les dons des citoyens en
remplacement des impôts, approche effectivement complètement loufoque. Est-ce de votre part une pique adressée à
tous les doux rêveurs qui tentent d’imaginer un autre système et oublient la
sacré sainte règle du TINA, there is no alternative au capitalisme,
« le pire système à part tous les autres » ?
Le
montant de CHF 2500.- par mois proposé par l’initiative est critiquable –
sensiblement trop élevé à mon sens – mais il a toujours été clair que
l’essentiel du financement proviendrait en premier lieu de la suppression de
toutes les autres aides : chômage, AI, AVS, etc. Cela signifie
concrètement la fin de l’assistanat et des stigmatisations dont les
bénéficiaires des aides font parfois l’objet mais aussi une
responsabilisation de chaque citoyen, chacun étant enfin invité à décider
de son choix de vie et degré d’activité. Au passage, cela remet en cause toute
une frange de la fonction publique, les dossiers et les suivis de dossiers
devenant obsolètes. Tous ceux qui
vivent dans ou de l’assistanat et aiment se considérer en victimes ou
bienfaiteurs ne verront donc pas cette initiative d’un très bon œil.
L’autre
grande source de financement serait une légère augmentation des impôts sur le
revenu, ceux-ci incluant alors le revenu inconditionnel. La tranche
d’imposition augmentant mathématiquement, on récupèrera en partie ce qui sera
versé, le reste servant à alimenter la croissance économique via l’augmentation
du pouvoir d’achat. Cette mesure n’empêchera donc aucun riche de devenir
encore plus riche et se traduira, dans tous les cas, par une meilleure
répartition des richesses. [et de manière moins vexatoire et risquée que l’initiative 1:12 proposée par les jeunes socialistes qui interdirait à un patron de gagner en un mois ce que son employé le moins bien loti gagne en une année, voir http://1a12.ch/]
Il
n’a jamais été question non plus de « monde sans salariat ».
Arriveriez-vous, à titre personnel, à vivre en Suisse avec CHF 2500.- par
mois ? 95% de l’humanité pourrait certainement le faire sans privation
voire avec un gain de confort – ce qui nous permet de mesurer à quel point la
vie coûte chère dans ce beau pays et ce n’est pas là le moindre des
scandales ! – mais quel pourcentage de suisses s’en
contenterait ? Il n’y a bien que
les marginaux et les sages – les deux allant souvent de paire – qui en
profiteraient pour sortir enfin de la logique consumériste et, via la simplicité
volontaire, se recentrer sur les fondamentaux. Les autres souhaitant
continuer à consommer et à rêver à la maison ou belle voiture continueront
évidemment à travailler.
Vous
semblez partir du curieux principe qu’un revenu tombé du ciel ferait
immédiatement abandonner toute activité, ce qui, j’en conviens, est le fantasme
de la majorité des joueurs du loto. Ce n’est pas le moindre des mérites de
cette initiative que de dissocier enfin le revenu du travail : tout
citoyen devrait avoir droit à un revenu à partir du moment où la vie dans la
communauté requiert des ressources minimales mais tout citoyen a également le
devoir d’une activité, pour autant que celle-ci soit librement choisie. Nous
serions sinon dans une variante subtile de l’esclavagisme : être obligé de
travailler pour survivre, définition du « travail alimentaire », que
personne ne peut appeler de ses vœux.
« La plus grande
tragédie de la vie sociale est l’incapacité de tant de jeunes gens à découvrir
le métier qu’ils aimeraient vraiment exercer […] La personne la plus à plaindre
est celle qui, par son travail, ne gagne strictement que son salaire »
déclara Edna Kerr à Dale Carnegie, pour son chapitre (supprimé dans les
éditions suivantes) « Sachez choisir
votre métier » de l’un de ses ouvrages. Toute tâche mérite
salaire ? Peut-être mais tout
salaire mérite surtout une vraie tâche !
Il
est évident qu’un revenu inconditionnel permettrait à chacun de mieux
s’interroger sur le sens de sa vie. N’est-ce pas cela qui,
fondamentalement, inquiète le monde de l’économie ou de la politique: vais-je
continuer à faire un travail pour une société qui fout la planète en
l’air ? Dois-je continuer à
travailler pour un patron qui est en opposition totale avec mes valeurs ?
Toutes
les sociétés ne sont évidemment pas inutiles ou malsaines et tous les patrons
ne sont pas des exploiteurs sans scrupules – il existerait même, m’a-t-on dit,
des salariés indélicats – mais il est évident que cette initiative se
traduirait par un renforcement des valeurs, de l’humanisme et de l’écologie. On réfléchira en tout cas un peu plus avant
d’accepter n’importe quel travail !
Vous
parlez de « méconnaissance de la nature humaine » mais quelle
conception de l’homme avez-vous donc pour considérer qu’il puisse se contenter
d’oisiveté ? Il me semble que
chacun a plutôt au fond de lui le besoin primaire de se sentir utile et
apprécié, d’où le drame actuel de tous ces métiers sans aucun sens et
des dépressions qui en découlent !
Chacun
pouvant enfin décider sereinement de sa vie, les arts, l’humanitaire ou
l’entreprenariat seraient naturellement favorisés, de même que les études
supérieures, chacun ayant pu économiser pour son projet personnel.
En
un mot, ce projet libèrera l’énergie des citoyens et permettra l’avènement d’un
autre type de société, d’un autre paradigme, axé sur l’homme et non plus la
seule avidité. A ma connaissance, c’est même la seule mesure capable de le
faire et c’est sans doute pourquoi elle cristallise autant
d’hostilité !
Même
sans caricature, il est évidemment possible de trouver des défauts ou des
risques à ce projet. Le risque inflationniste en est un, le flux migratoire un
autre, le coût de la transition un troisième. Idéalement, une telle mesure
devrait donc s’accompagner de gardes fous et être étendue à l’échelle d’un
continent voire du monde entier, chacun recevant la somme nécessaire à sa
subsistance de base, dans son pays de résidence (seuil de pauvreté par
exemple). Alors le flux migratoire sera stoppé, chacun préférant naturellement
rester dans son milieu familial et culturel… Tant pis pour tous ceux qui
s’enrichissent sur le dos de la misère humaine : ils pourront toujours,
grâce au revenu inconditionnel, changer eux-aussi d’activité !
Vous
avez raison sur un point, le revenu inconditionnel est bien une « vieille
idée » : elle a été réfléchie et proposée par des personnalités
aussi prestigieuses que le prix Nobel d’économie Milton Friedmann (impôt
négatif) ou le philosophe André Gorz (allocation universelle). Elle est en train d’être discutée à l’échelon gouvernemental
en Allemagne mais a de toute évidence du mal à s’imposer en Europe :
100 000 signatures seulement sur le million à récolter d’ici la fin de
l’année ! Voir http://basicincome2013.eu/ubi/fr/ En Suisse, l’initiative vient donc d’aboutir
et sera soumis à votation populaire. Voir http://bien.ch/fr/
Avec quelle probabilité de
succès ? Le courage
n’étant pas de se contenter du statut quo mais de souscrire au changement,
il est évident que les politiques et autres lobbies économiques appelleront à
voter contre. Ils prétexteront des mêmes arguments fallacieux et n’auront aucun
mal à en trouver bien d’autre : ruine du pays, incitation à la
fainéantise, anéantissement du tissus économique, afflux migratoire,… « Qui veut faire quelque chose trouve
un moyen. Qui ne veut rien faire trouve une excuse » dit un proverbe
arabe. La peur est toujours mauvaise conseillère mais elle maintient les
puissants au pouvoir et, après tout, nous avons les dirigeants que nous
méritons… »
Bonne
réflexion sur un sujet qui le mérite à plus d'un titre!
Frat’airnellement,
Benoît
Saint Girons
Centre Oasis, Genève